Bon jour pour voler :3 | Shin |

Le bruit ambiant était assourdissant, ici, au Marché. Tout les vendeurs vantaient les mérites de leurs produits tandis que les passants regardaient avec un oeil intéressé les produits qui s'éparpillaient sur les étals. Une étoffe par ci, des volailles par là. Certains s'approchaient plus que les autres, et examinaient avec attention l'objet qui les intéressaient, et d'autres marchandaient en parlant fort avec les vendeurs qui refusaient de baisser leurs prix.
Dans toute cette agitation et cette confusion, Yaule s'amusait beaucoup. En effet, le félin affectionnait voir de nouvelles choses, et ce marché représentait donc un amusement certain et interminable pour sûr. Rien n'était plus passionnant et rien ne l'occupait plus que de se glisser dans la foule ici. Parfois, il tombait sur quelqu'un de généreux qui lui laissait un peu de nourriture, parfois il tombait sur des personnes moins bien intentionnées qui essayait de chasser de leur champ de vision ce "sale matou". Mais malgré ces réactions peu désirables, le chat gris adorait toujours cette foule dense et massée en face de produits nouveaux dont il ne comprenait pas l'utilité la plupart du temps. De temps en temps, une personne était justement chargée de faire une démonstration pour les passants, mais elle n'éclairait pas toujours le chat : les objets que les humains utilisaient étaient bien étranges...

L'autre avantage du marché était l'abondance de nourriture. Etant un gourmand insatiable, le matou aimait beaucoup voler ce qu'il trouvait, et s'amusait à le faire sous les yeux du marchand qui se demandait alors ce qui se passait avant de voir une silhouette grise disparaître rapidement, trop vite pour qu'il puisse comprendre.
C'était justement ce que faisait en ce moment Yaule : voler. Avec son agilité innée, il passait d'étal en étal, s'emparant parfois de morceaux de viande ou d'autres produits parfois inconnus. Enfin, jusqu'à ce que l'accident inévitable arrive.
Trop occupé à observer les gestes d'un homme qui montrait un objet en bois étrange, il voulu faire un saut agile afin de descendre rapidement de la table sur laquelle il venait de monter. Mais au lieu d'atterrir sur le sol meuble et terreux auquel il s'attendait, il sentit quelque chose de souple et doux sous ses coussinets, comme de la fourrure... De la fourrure ? Regardant finalement ce qui se trouvait sous ses pattes, il resta un instant sans bouger, stupéfait de se rendre compte qu'il se tenait sur un chien. Un très beau chien, cependant. Bicolore, musclé, et bien proportionné, mais l'heure n'était pas vraiment à le contempler...

En un saut rapide, Yaule sauta à terre, ne souhaitant clairement pas rester plus longtemps sur le dos du canidé, et se tourna face à lui pour ne pas le perdre de vue. Il se ramassa sur lui même et sa queue se gonfla instinctivement pour se rendre plus impressionnant et effrayant. Quel idée, de sauter sur un chien ! Il aurait du regarder où il atterrissait, quel idiot !
Mais quelque chose l'interpella. Le chien s'était aussi mit en position de défense - la queue entre les jambes - et il commençait de grogner, mais bizarrement, il n'attaquait pas. Le félin avait souvent croisé des chiens et il s'en était toujours sorti de justesse en s'enfuyant rapidement et en grimpant à des endroits inaccessibles pour eux avant qu'ils ne le frappe d'un coup de patte brusque, mais celui-ci ne semblait pas appliquer cette tactique. Pourquoi ? Avait-il quelque chose en tête, quelque chose de bien plus efficace et pratique qu'un coup de patte ? Ayant peur que les chiens aient finalement réussi à connecter leurs trois neurones pour mieux attaquer et faire plus mal, il recula un peu en se retenant de cracher. Si il montrait qu'il n'avait pas du tout envie de se battre, son opposant se calmerait peut être aussi, qui sait ? Une bagarre, c'est toujours un gachis de beaucoup d'énergies, donc pas vraiment la meilleure solution lorsque l'on avait faim. Il ne pourrait bien entendu pas lui faire confiance, mais de cette manière il trouverait forcément un moyen de se débarrasser de ce colosse à fourrure sans avoir aucunes blessures, donc de filer discrètement. Si il parvenait simplement à atteindre un endroit où la foule était dense, il aurait gagné, mais c'est bien évidemment plus facile à dire qu'à faire.

Une idée lui vint alors. Et si il détournait l'attention du chien ? En mettant de la nourriture en évidence devant lui, par exemple. Les gros tas de fourrure qu'étaient les chiens n'avaient pas pour réputation d'être intelligents aux yeux de Yaule, il se dit donc que ce plan pouvait parfaitement marcher... Mais il fallait trouver de la viande à proximité, et la table sur laquelle il était quelques instants plus tôt n'avait que des épices disposées dessus, donc rien de très appétissant... Peut être s'il arrivait à atteindre l'étal juste à côté ? ....

Il commença de reculer lentement vers l'étal qu'il visait, sans un seul geste brusque, montrant donc clairement ses intentions pacifiques. Ces imbéciles à coussinets n'étaient pas réputés pour être de grand diplomates, mais peut être que celui-ci était un peu plus doué que la moyenne et comprendrait les intentions du chat sans essayer de lui donner un coup de griffe ou de crocs. Il sentait l'odeur caractéristique des poissons qui commençaient de ne plus être de la première fraicheur, ce qui était à la fois un bon et mauvais signe. Il se rapprochait de son but, mais que se passerait-il si l'animal en face de lui préférait de la viande de chat plutôt qu'un poisson qui commençait à ne plus être bon ?

Le chien ne semblait pas suivre le félin au début. Ce dernier proféra quelques injures dirigées contre la bêtise des canidés en général et ralentit un peu avant de se rendre compte que le gros animal le suivait finalement et se rapprochait de plus en plus grâce à ses grandes pattes agiles... En effet, le corps athlétique de l'animal fut très vite à sa hauteur. Yaule essaya d'accélérer un peu plus mais ses membres étaient bien plus courts et le faisait déjà se déplacer à la vitesse maximale qu'il pouvait espérer atteindre. Il s'étira et s'allongea un peu plus, mais son "compagnon" se rapprocha encore plus de son corps frêle attrapa la queue soyeuse du chat dans sa grande gueule puissante et émis un son victorieux.
Yaule sentit ses oreilles se coucher en arrière, de fureur. Il n'avait toujours pas compris qu'il lui avait juste offert un moyen de s'échapper pour le sauver de la fureur du poissonnier ? Il n'avait presque que de bonnes intentions à l'égard de ce gros ignare, et celui-ci se contentait de prendre ça pour un jeu ou de la provocation. Les chiens ne pouvaient décidément pas faire preuve de réflexion... Il essaya de se débattre un peu avec un petit miaulement plaintif pour dégager de ses puissantes mâchoires cette queue qu'il affectionnait tant et qui constituait - à ses yeux - la majeure partie de son charme. Il avait déjà vu des chats avec une queue raccourcie par la rage de quelques chiens, et rien que de repenser à cette vue le fit frissonner.

Il essaye d'oublier cette vision et continua de se débattre avec un peu plus de vigueur, donnant des coups de pattes au canidé en faisant attention de garder ses griffes rentrées, car il fallait bien admettre que vu la différence de taille, le félin avait un peu peur de se faire dévorer tout cru par celui qui le tenait prisonnier. Il miaula une seconde fois, de manière un peu plus féroce, mais se retint de cracher pour ne pas paraître trop agressif non plus. Après tout, pouvait-il vraiment en vouloir à ce chien ? Il n'avait fait que répondre à l'intrusion qu'avaient eût ses crocs sur sa queue... A sa place, il aurait surement fait la même chose. Dur de réfléchir dans le feu de l'action, surtout lorsque l'on n'a pas une vitesse de réflexion fulgurante... Car, oui, même lorsqu'il essayait de défendre les actions de cet animal, il ne pouvait s'empêcher de le rabaisser un peu. Les chiens l'avait fait souffrir trop longtemps, il se vengeait comme il pouvait, malgré la situation dans laquelle il se trouvait actuellement.

En regardant les alentours, il n'eût pas l'impression de sentir le marchand hostile ou des passants énervés trop proches d'eux, ce qui le rassura un peu. Il espérait surtout ne pas se retrouver prisonnier du chien et à la merci de la rage des humains, car qui sait de quoi le gros imbécile poilu serait capable pour se venger ?